Racontez-nous quel a été votre parcours...
J'ai commencé par faire un BTS fonderie à Armentières, à côté de Lille. Mes parents, qui s'étaient saignés pour payer mes études, n'avaient pas les moyens de subvenir à mes besoins pour que j'aille plus loin. On était 6 enfants à la maison. Mais je ne voulais pas m'arrêter là. J'avais fait mon stage de BTS à la Fonte Ardennaise. C'est là que j'ai vraiment eu un déclic professionnel : l'activité, l'ambiance, les objectifs, tout ça m'a plu immédiatement. Et j'ai eu la chance d'être formé par les anciens de la Fonte, qui m'ont fait confiance.
Après mon BTS, j'ai intégré le groupe Thyssen Edelstahl à Liège comme technico-commercial sédentaire sur le Benelux. En plus de m'embaucher, ils me payaient la fac d'allemand. A l'époque, cette langue était importante dans les Ardennes et c'était pour moi une option que je voulais ajouter à mes papiers. Puis je suis revenu comme employé à la Fonte, pendant presque 2 ans. Je suis passé de la qualité au contrôle, à la fusion... Tout ça m'a enrichi. En plus, j'ai progressé techniquement au contact des managers.
Quand on sort de l'école, on a l'impression de tout savoir, mais en fait on ne sait rien : il y a des choses qui ne s'apprennent que sur le terrain.
Je suis ensuite parti à la fonderie Grandry à Charleville-Mézières. Là-bas aussi, j'ai croisé des grands managers. J'ai été séduit par leur métier et par les méthodes de management : un petit peu comme un entraîneur de foot, ils menaient leur équipe dans le but d'aboutir à un objectif. J'y suis resté 15 ans, d'abord comme adjoint au responsable de production, puis comme responsable à partir de 2001. Malheureusement, en 2003, Grandry a fermé.
J'ai rebondi en acceptant un poste de directeur dans une entreprise d'ébarbage qui se créait à Chooz. Mais je n'y suis resté que deux ans, car ce n'était que de l'ébarbage, et pour m'épanouir, j'avais besoin aussi du moulage, de la fusion...
Donc, en 2005, j'ai intégré les Fonderies Nicolas en tant que responsable de production, jusqu'à la fin de l'année 2012, lorsque le groupe a voulu se séparer de l'entreprise.
Vous avez alors décidé de reprendre les rênes de cette fonderie ; qu'est-ce qui a motivé ce challenge ?
Toute ma famille était derrière moi pour me pousser, me motiver. J'ai aussi pu compter sur le soutien de grands décideurs économiques du département qui ne voulaient pas voir la fonderie disparaître des Ardennes. A un moment donné, j'ai failli abandonner, mais tous croyaient en moi, et de mon côté, j'estimais que j'étais assez mûr pour la reprise. J'ai sollicité les collectivités et les banques pour réunir toutes les sommes nécessaires, car je ne suis pas né avec une cuillère en argent dans la bouche... Tous ces partenaires m'ont suivi ; le Conseil général m'a prêté 100.000 €. C'est important, on ne me les a pas donnés...
Finalement, vous êtes aujourd'hui à la place des managers qui vous faisaient rêver !
J'ai toujours rêvé d'être chef d'entreprise, ici ou ailleurs. Je savais que j'allais faire quelque chose comme ça. Je m'y préparais et c'est pour ça que ma décision de reprendre n'a pas été trop difficile. Par contre, je suis content d'avoir pu le faire dans les Ardennes. Moi, je me sens bien ici, je suis né à Sedan, j'ai fait construire à Warnécourt, presque toute ma famille est ici. On est des Ardennais pure souche même si notre nom sonne un peu oriental !
Vous avez à cœur de vous battre pour le département. Que faudrait-il faire, selon vous, pour redonner de l'élan à son économie ?
Le Conseil général a lancé un club des exportateurs, qui pousse à faire venir du business dans les Ardennes. C'est un challenge intéressant. Je suis allé en Chine avec eux, et récemment en Algérie. Je continuerai dans cette voie parce que j'y crois vraiment, à ce club. Ça va nous ouvrir des portes. En Algérie, il y a un potentiel énorme ! Tout comme au Sénégal. Dans ces pays émergents, tout se développe en même temps : les constructions, les camions, les voitures, les ascenseurs..., les besoins en pièces de fonderie sont énormes! Il faut à tout prix aller vers ces pays. Donc nous, on y va, on vend le savoir-faire des Ardennes et la qualité de notre main d'œuvre.
Pour le Conseil général qui nous accompagne, l'objectif, c'est de créer de l'emploi dans les Ardennes. C'est louable ; par rapport à la situation économique de notre département, c'est une bonne chose qu'il intervienne en faveur du développement des entreprises.
La prospection vous permet d'augmenter votre portefeuille de clients ; quels autres moyens sont à votre disposition ?
L'innovation. On touche à des domaines de plus en plus techniques, comme les pièces hydrauliques. C'est en faisant des pièces de plus en plus compliquées, ou en fabriquant des ensembles complets, qu'on pourra se différencier et capter de nouveaux marchés. L'acheteur d'aujourd'hui ne veut plus s'embêter à contacter 36 fournisseurs, il recherche un produit abouti. On essaye aussi de trouver des marchés de niche. On commence à avoir une petite réputation de fonderie capable de répondre avec une flexibilité et une qualité, notamment grâce à des structures et des laboratoires capables de contrôler nos pièces, comme le CRITT, l'IFTS. Les petites usines comme la nôtre ne peuvent pas se permettre d'avoir un bureau d'études ou un technicien spécialisé. Donc, de pouvoir faire appel à des professionnels compétents, c'est précieux. Enfin, il faut savoir qu'il y a une grosse entraide entre fondeurs ardennais. La meilleure solution, c'est celle-là : se donner la main et chasser en meute.
Selon vous, les fonderies ardennaises sont donc capables de répondre à tout type de demande ?
Bien sûr. Les Fonderies Nicolas peuvent répondre, la Fonte peut répondre, Magotteaux, Vignon également, la Fonderie Rocroyenne d'Aluminium... On est prêt ! Il faut juste le faire savoir et aller à la rencontre des clients.
Le tissu économique du département se compose surtout de petites structures (PME, PMI, artisans) ; n'est-ce pas là un handicap ?
Non, au contraire, c'est une force. Avec toutes les PME et PMI présentes dans les Ardennes, toute la sous-traitance peut être faite chez nous. On a les prestataires sous la main : galvanisation, usinage, peinture... Contrairement aux multinationales qui réfléchissent uniquement en termes de business, nos petites entreprises, qui sont souvent tenues par des familles, mouillent la chemise. Je connais plein de patrons de PME qui se sacrifient pour leur affaire. C'est ça notre force, à nous PME : du savoir-faire, de la réactivité, de l'entraide, et surtout, l'amour de nos métiers.
Vous avez osé reprendre ; quel message auriez-vous envie de délivrer à celles et ceux qui hésitent encore ?
Il faut avoir l'état d'esprit, ne pas se dire qu'en reprenant une entreprise, on va être riche le lendemain. C'est même plutôt le contraire ! Il faut aussi être prêt psychologiquement, et ne pas avoir peur. Il faut prendre des risques et être conscient des sacrifices que cela implique. Enfin, il faut un réseau de clients, ça aide.
Je pense que parmi les Ardennais, beaucoup seraient capables de reprendre une entreprise. Je ne suis pas un cas isolé. En tout cas, s'ils s'en sentent capables, je les encourage à y aller. Il faut y croire !
Les fonderies Nicolas comptent 34 salariés. Depuis la reprise, l'entreprise a pu réaliser 3 embauches. Elle se porte plutôt bien. « On a investi dans les bâtiments pour maintenir en état notre outil de travail, et remis à niveau tout le matériel. On a un outil de travail performant : ce n'est pas parce qu'on est dans une fonderie qu'on est à la traine, assure Mohand Ben Bournane. Et je suis fier de toute l'équipe qui m'entoure. On travaille tous ensemble. »