La métallurgie ardennaise doit répondre à un défi de taille. Dans le domaine de la fonderie ou de la forge, l'industrie du métal dans les Ardennes est adossée à plusieurs siècles d'expérience. Mais depuis une décennie elle est confrontée à une concurrence étrangère, en particulier sur les pièces de grande série. Un recul de parts de marché ayant entraîné une réduction drastique de ses effectifs et accompagné de la fermeture de nombreuses entreprises du secteur. Si la métallurgie représente toujours presque un tiers de l'activité du département et compte aujourd'hui encore 13 560 salariés, elle a longtemps accusé un retard préjudiciable face à certains produits haut de gamme fabriqués en Allemagne. Et elle pâtit enfin d'une image traditionnelle qui, bien que bénéficiant de la sympathie du grand public teintée de nostalgie, ne contribue pas à la valoriser auprès des étudiants qui la délaissent au profit d'autres domaines prétendument plus attractifs. Cependant ses efforts aujourd'hui pour monter en gamme et opérer sa mutation sont bien réels. Et cela, en dépit de la crise économique depuis 2008, d'une montée des cours des matières premières etc. Pour rester dans la course, ses dirigeants ont, en effet, bien compris que le salut devait passer par la recherche de nouveaux débouchés associés à une réduction des coûts de production en s'appuyant en particulier sur des technologies nouvelles et prometteuses. Bref, la métallurgie ardennaise doit prouver qu'elle a un avenir ... et semble en passe de s'en donner les moyens.
Certaines entreprises ont déjà opéré un tournant il y a dix ans. Comme l'Atelier des Janves, à Bogny-sur-Meuse, devenu un des fleurons industriel du département et qui peut faire figure d'éclaireur en la matière. "Notre déménagement sur un nouveau site en 1993 nous a aidé", concède son directeur, Jean-Michel LESIRE. "Il nous a permis d'opérer des changements importants en intégrant rapidement cette constance de fond qui nécessite d'aller vers la robotisation et l'automatisation de nos lignes de production", poursuit-il.
Dès 2003, le site de forge et d'estampage, spécialisé dans la production de bielles pour l'automobile s'est ainsi doté d'une ligne de production robotisée. "On a obtenu une plus grande régularité des flux de production mais aussi de gagner la bataille des prix au regard de l'augmentation des cours de l'acier." Conjointement l'entreprise est sortie de sa dépendance exclusive au secteur de l'automobile. "Il y a dix ans nous étions à 95% sous-traitant de l'industrie automobile... aujourd'hui notre activité se répartit de façon identique entre l'automobile, les poids lourds et le secteur agricole." Car une des clés de la réussite, dans un contexte de crise, est bien évidemment de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Et de voir aussi au-delà. "Une entreprise a tout intérêt à ne pas se contenter de la simple exécution d'une commande du donneur d'ordre" insister Hervé BONNEFOY, enseignant-chercheur à l'IFTS (Institut de Formation Technique Supérieur). En effet, dans un environnement concurrentiel accru qui exige un niveau de qualité croissant, son expertise est de plus en plus requise.
Simulation 3D et chaîne numérique
"Ce changement des entreprises initialement en sous-traitance est d'ailleurs en train de changer." Grâce entre autres, à la simulation 3D et à la mise en place de la chaîne numérique, elles sont en mesure de proposer, non seulement des ajustements et corrections, mais aussi des améliorations substantielles des produits. "L'enjeu, désormais, est la conception de produits propres", témoigne l'enseignant-chercheur. A l'image de la fonderie Rollinger, qui outre la production de pièces de quincaillerie (70% de son activité) s'est orientée depuis quelques années sur de la fonderie d'art. "La conception assistée par ordinateur (CAO) nous permet d'être plus créatifs", constate avec enthousiasme Jérôme THERET, son directeur. Une amorce qui demeure pour l'instant modeste. "Sans chaîne numérique on ne développerait plus rien chez nos clients depuis deux ans" renchérit Bertrand PETIT, dirigeant de la Fonderie Rocroyenne d'Aluminium qui réalise, outre des carters et des turbines, des pièces d'immobilier et design. Les nouveaux outils numériques, désormais incontournables, offrent indéniablement des avancées très prometteuses. Mais les investissements sont coûteux. Surtout pour des PME qui n'excèdent parfois pas plus de 20 à 30 salariés.
C'est pourquoi, l'UIMM des Ardennes (Union des Industries et des Métiers de la Métallurgie) a lancé un plan Fondeurs en 2006 suivi d'un plan pour la Forge afin d'aider le secteur à travailler en réseau dans un esprit proche d'un cluster. Le plan fonderie rassemble ainsi une quinzaine de fonderie dans les Ardennes, associant les plus modestes et celle de taille plus conséquente (La Fonte Ardennaise). Son objectif ? Améliorer les process par la mise en place d'outils de gestion (logiciel ERP-entreprise resourcing planning), de simulation de coulée (logiciel NBovaFlow), ou de design (Rhinoceros 3D). Mais aussi éditer un guide des bonnes pratiques en matière de sécurité et d'environnement, réaliser des audits croisés pour perfectionner le flux de production et bénéficier d'un site internet collectif offrant une visibilité auprès d'éventuels clients. Mais ce dispositif est plus ambitieux encore. Il s'est engagé dans la mutualisation de moyens et techniques autour d'outils et machines particulièrement performantes pour accroître la compétitivité des fondeurs et des entreprises de forge pour favoriser une montée en gamme de leur coeur de métier.
La fabrication additive, une révolution aux multiples débouchés
En ligne de mire : une technologie phare amenée à révolutionner les modes de production dans un avenir proche : la fabrication additive par imprimante 3D. Ce procédé ouvre d'énormes perspectives au secteur de la métallurgie autant pour le prototypage rapide que pour la production de petites séries. Pour l'heure, certaines de ces machines de fabrication additive à la pointe de la technologie sont déjà mises à la disposition des entreprises par le pôle de technologie du Moulin Leblanc de Charleville-Mézières composé du CRITT (Centre Régional d'Innovation et de Transfert de Technologie) et de l'IFTS. Dans un premier temps, il s'agit souvent de prototypage rapide pour des pièces de tailles modestes qui peuvent être valorisées auprès des clients. Mais aussi, comme pour la fonderie Rollinger, de réaliser de modèles en régule (alliage d'étain ou de plomb et d'antimoine) notamment pour des pièces d'art et de décoration.
L'existence d'un tel centre de recherche est devenue, en outre, depuis plusieurs mois, un atout commercial. "La simple visite de clients dans les locaux de l'IFTS nous a permis de décrocher des marchés", rapporte ainsi Marc MONCLIN à la tête de la fonderie Vignon. Des pièces sont ainsi fabriquées selon cette technologie dont le procédé est le suivant : sur la base d'un fichier numérique disposant des données en trois dimensions de l'objet à produire, la pièce est fabriquée par adjonction de couches de matières. Soit en polymères (plastique) ou en résine photosensible solidifiée sous l'action d'un rayonnement ultraviolet. Soit sous forme de poudre de métal fusionnée par laser. Les avantages de la fabrication additive sont multiples : elle permet d'éviter la création de moules coûteux et chronophage. Elle offre un gain de temps réduisant ainsi la durée de fabrication et accélère la phase de mise sur le marché. De surcroît, le procédé utilise la seule matière utile et ne génère donc aucun déchet. Elle permet enfin de réaliser des pièces complexes, d'un seul tenant, faisant l'économie des étapes d'assemblage. Et, surtout, cette technologie rend possible de concevoir et de fabriquer des pièces allégées, fines, présentant des propriétés de résistance inédites. Mais là encore, cette technologie d'avenir demande un investissement que ne peuvent supporter seules les petites PME.
Un cluster... et projet d'un centre de recherche de haut niveau
Pour pallier cette faiblesse, un cluster a été créé (projet collaboratif associant universitaires, centre de recherche et entreprises) en octobre dernier, signé par le président de l'URCA (Université-Reims-Champagne-Ardenne) et le président du pôle de compétitivité Matéralia afin de permettre aux entreprises associées de monter en régime. En effet, le rapprochement des chercheurs avec les dirigeants de la métallurgie, permet non seulement de dynamiser la recherche mais aussi de développer des solutions pour les industriels en fédérant les partenaires autour de projets communs. En ce sens, des démarches sont engagées par ce cluster, pour un montant évalué à 5 millions d'euros ; en vue de l'acquisition de machines de fabrication additive encore plus performantes à destination des matériaux polymères, métalliques, céramiques ainsi que pour les procédés d'emboutissage. "En quelques mois, il y a une dynamique indéite sur le site avec une multiplication de la coopération et des échanges", se réjouit Hervé BONNEFOY qui constate déjà une formidable évolution des petits fondeurs en quatre ans. "Il faut désormais passer du laboratoire au stade industriel en faisant sauter un certain nombre de verrous technologiques". Mais le chercheur est confiant au regard de la mobilisation collective.
Et d'imaginer d'autres développements comme "la mise en place de procédés hybrides qui pourront associer les propriétés mécaniques des pièces de forge avec les propriétés morphologiques des matériaux permises par la fonderie." Le système MIM (Metal Injection Molding) qui permet de réaliser des petites pièces de géométrie complexe faisant appel à des technologies d'injection utilisées en plasturgie et aussi empruntées à la métallurgie des poudres en est un bon exemple. L'enjeu est donc bien de fédérer les métiers traditionnels de forge et fonderie autour de produits high-tech et de design. Et pourquoi pas, à plus ou moins long terme, comme l'envisagent le Pôle de compétitivité Matéralia et l'université de Reims, la création d'un Mégahub, autrement dit d'un centre de recherche de très haut niveau, d'envergure nationale et européenne à Charleville-Mézières.