Même si les effectifs ardennais de la métallurgie, de la fonderie et de la forge ont été considérablement réduits au cours des dernières années, le secteur reste le premier employeur industriel des Ardennes, avec 14 000 salariés. Il reste surtout le premier recruteur du département. En effet, 30% des effectifs ont 50 ans et plus, ce qui signifie que l'industrie métallurgique locale devra recruter environ un millier de salariés dans les trois à quatre prochaines années. "Ce qui n'est pas facile, concèdent volontiers Philippe Collignon, président du syndicat des fondeurs ardennais et administrateur de l'UIMM, et Lionel Vuibert, secrétaire général de l'Union des industries et des métiers de la métallurgie. "Les fermetures d'usines font la "Une", l'image n'est pas bonne. Pour certains, l'industrie, c'est encore Zola ! Nous avons donc du mal à persuader les jeunes de venir. Et lorsqu'ils sont intéressés, ce sont parfois les parents qui disent non !"
Pourtant, l'industrie métallurgique ardennaise est résolument dans le XXIe siècle. Le personnel y est de plus en plus performant, les techniques industrielles et d'organisation, les équipements, sont de dernière génération, avec pilotage en ligne et robotique. L'enjeu de l'emploi est d'autant plus important que les Ardennes comptent toujours 26% d'emplois industriels, contre 13% au niveau national.
Féminisation des métiers jusque-là très masculins
Les professionnels multiplient donc les actions de promotion de leurs métiers, dans les médias de tous ordres, par des opérations comme "Bravo l'industrie", qui ouvrent les usines aux scolaires, ou par des voyages comme celui organisé cette année pour des élèves du lycée Bazin, au Gifa de Düsseldorf, le plus grand salon dans le monde pour la fonderie, les pièces et la technologie de fonderie. Le renouvellement des effectifs permet en outre de féminiser des métiers jusque-là très masculins, avec une forte demande pour la robotique et la maintenance, mais aussi les nouvelles technologies d'impression 3D dont les industriels ardennais veulent faire un cheval de bataille. Inscrite dans le plan de progrès des forgerons et de la fonderie, la future plate-forme 3D devrait permettre de réaliser des noyaux de sable pour la fonderie ou des pièces en poudre métallique. Devenu régional, le plan de progrès fondeurs, 5e du nom, a été initié par les industriels ardennais et doit permettre, par un effet d'entraînements, de favoriser le développement des plus petites PME dans le sillage des plus importantes. "Les mentalités ont changé, explique Philippe Collignon. Nécessité fait loi. Là où la concurrence prévalait, de vrais échanges se sont développés entre entreprises. Les plus grosses entreprises permettent à de beaucoup plus petites structures d'obtenir des contrats. Le groupe PSA lui-même soutient la démarche tout en étant en dehors du plan. Des achats ou des recrutements communs permettent aussi à des entreprises de se doter de compétences ou d'outils qu'elles ne pourraient pas acquérir seules. Ce n'était pourtant pas évident au départ."
La crainte d'une disparition pure et simple des clients
Si les entreprises ardennaises sont très combatives et multiplient les initiatives pour se maintenir dans un contexte concurrentiel excessivement difficile, la situation n'en reste pas moins préoccupante. "Il ne faut pas se voiler la face, nous ne sommes pas dans une situation économique formidable", poursuit Philippe Collignon. Paradoxalement, si la concurrence avec des pays émergents est très dure, les industriels craignent également une disparition pure et simple... de leurs clients. "Le regroupement industriel donne le jour à de grands groupes et il exclut les PME de nombreuses commandes. Je pense actuellement à ce qui se passe chez RVI, filiale de Volvo. La mort de donneurs d'ordre ou la création de grandes entités excluant l'industrie locale font partie des risques les plus importants."
Tout cela dans un contexte national que dénoncent toujours les industriels, ardennais ou nationaux. "Le poids des charges sociales excessives pèse toujours autant sur l'industrie française et elle est facteur de non-compétitivité. De même que la lourdeur au niveau de l'emploi, qui freine l'embauche. Comment recruter lorsque le marché s'y prête si l'industriel ne peut pas adapter ses effectifs à la baisse en cas de réduction du carnet de commandes ?" La situation est d'autant plus tendue sur le marché de l'emploi que "l'activité actuelle de nos entreprises est tout juste à 80% de ce qu'elle était avant 2008", ajoute Lionel Vuibert. C'est bien sur ce terrain-là que la situation préoccupe le plus les industriels ardennais. Après un regain au début des années 2000, la situation s'est fortement dégradée à partir de 2008. "Jusque-là, même si ce n'était pas socialement la meilleure pespective, nos industries augmentaient encore leur chiffre d'affaires malgré la baisse des effectifs. Aujourd'hui, même si elles réalisent une grosse part d'activités à l'export, avec un taux de couverture (rapport entre les exportations et les importations) de 170% supérieur à celui de la Marne avec le champagne, nous perdons de la substance, avec une baisse des chiffres d'affaires. C'est ce qu'il y a de plus préoccupant", note Lionel Vuibert.
Article paru dans le cahier central de l'Ardennais du mardi 30 juin 2015, avec d'autres informations et témoignages.
Dossier réalisé par Mirko Spasic et Corinne Lange.